Isidore Ribas

Témoignages

Isidore Ribas

Après trois années de guerre, Isidore Ribas (1913 - 1987) quitte la Catalogne et passe en France le 6 février 1939. Direction le camp d’Argelès-sur-Mer. Ce militant de la CNT y passera plusieurs mois. Mobilisé dans une usine d’obus durant la guerre,  Isidore Ribas retrouve son épouse en Charente où ils s’établissent temporairement. Le couple reviendra par la suite près de la frontière en s’installant durablement à Argelès-sur-Mer avec leurs deux enfants. La revue Massana publiera ses mémoires quelques années après le décès d’Isidore Ribas, très connu dans la commune.

Le Barrio Chino

Sans avoir d’objectif précis, dans une partie de l’intérieur du camp, il s’était installé une sorte de « marché aux puces » qui occupait une surface de deux mille mètres carrés, peut-être davantage ;  nous l’avions surnommé « Le Barrio chino » dénomination de celui qui existait dans le temps à Barcelone. Dans ce marché, chose surprenante, on trouvait presque tout ce dont nous avions besoin en lingerie, en objets de toutes sortes, en marchandises diverses et pour pas cher ! Pour la bonne raison que, dans le camp, à quelques exceptions près, personne n’avait d’argent pour acheter, ou si peu…
A maintes reprises, quelques réfugiés trouvaient en vente sur le marché, ses affaires qu’on lui avait volées la veille ; s’il était assez courageux pour les réclamer, croyez-moi sur parole l’affaire tournait mal.
La déchéance que provoquent tous les maux que la société engendre, incite les individus au vol et à la criminalité, par conséquent, chacun s’évertuait à surveiller ses biens. Rien d’étonnant à ce que devant la population aussi grande, même les petits commerçants d’origine française viennent s’installer tout le long de la grande avenue. L’esprit du commerce commençait à se réveiller et des marchands ambulants surgissaient de tous les côtés mais cette fois les réfugiés avaient pris le devant.  Dans ce que nous appelions les rues de ce labyrinthe, nous avions l’impression que nous vivions dans un endroit civilisé ; à chacun ses illusions !... il y avait même des coiffeurs. Quelques-uns d’entre nous essayaient, à leur façon, de faire un simulacre de commerce, un petit bistrot par exemple ; certains marchaient à travers le camp en vendant  des cigarettes au détail, des paquets entiers, des cigarettes qu’ils avaient roulées eux-mêmes, de toutes dimensions pour contenter la clientèle ; en échange ils recevaient soit de l’argent, soit des timbres ou des billets de banque espagnols hors circulation. Nous savions que certains individus achetaient pour des personnes du dehors et tout le monde y cherchait son bénéfice.
La solitude, l’angoisse, le manque de relations avec la famille plongeaient les hommes dans un abîme et provoquaient un désarroi dont les perspectives étaient imprévisibles ; c’est pour cela que chacun cherchait à s’évader de la meilleure manière qu’il croyait.
Les marchands français, eux, s’installaient avec de petites camionnettes et portaient des légumes frais, des fruits et toutes sortes de marchandises ; c’était quelque chose d’inimaginable car nous étions des sans-le-sou !
Probablement, il y en avait qui ne manquaient pas d’argent en raison de la famille qu’ils avaient en France depuis quelque temps, mais c’était une minorité il faut bien le dire !  Et les autres ? Eh bien ! Ils faisaient la cueillette des orties, ramassaient les épluchures de pommes de terre et faisaient cuire cette mixture dans une boîte de conserves trouvée dans les ordures du camp ; cela servait à compléter le repas.

Isidore Ribas : 1939, « J’ai vécu le camp d’Argelès », Massana, Argelès/mer, n° 53, 1992.


Le groupe d’Isidore Ribas au camp d’Argelès-sur-Mer, 1939.

Le groupe d’Isidore Ribas au camp d’Argelès-sur-Mer, 1939. Revue Massana. DR