Mobilités et placements
Le camp d'Argelès-sur-Mer a été initialement pensé comme un camp de "concentration" des réfugiés en vue de leurs contrôles puis de leurs placements.
A l’image des passages de la frontière lors de la Retirada, la comptabilité des arrivées durant les premiers jours du fonctionnement du camp d’Argelès-sur-Mer s’est avérée impossible compte-tenu d’entrées collectives, non nominatives, et d’une certaine porosité autorisant ainsi des circulations non contrôlées tant de l’extérieur que de l’intérieur du camp. Il est ainsi relativement facile de passer d’un sous-camp à un autre et de sortir du camp même si la garde veille. Les entrées ne sont individuellement enregistrées par la Sûreté nationale qu’à compter du 24 février 1939. Ce n’est qu’à partir de cette date que le commissariat central du camp est en mesure d’établir une comptabilité quotidienne. Début mars 1939, l’autorité militaire établit de son côté un état des effectifs pour tous les camps alors en fonctionnement dans les Pyrénées-Orientales dont celui d’Argelès-sur-Mer. Le croisement de ces deux sources d’archives permet désormais de mieux aborder la question de la population du camp pour sa première période de fonctionnement.
Les réfugiés basques quittent le camp d’Argelès-sur-Mer pour celui de Gurs en avril 1939.
Archives départementales des Pyrénées-Orientales. Fonds Chauvin, 27Fi90
Cette double comptabilité permet d’obtenir à partir du début du mois de mars 1939 des effectifs quotidiens. Le premier d’entre eux, en date du 1er mars 1939, fait état de la présence de 80.000 internés dont 22.300 hommes non combattants, 53.900 « miliciens » (terme alors en usage dans l’administration française pour évoquer les militaires républicains) et 3800 internationaux. Il ne renseigne toutefois pas sur la présence, avérée, de femmes et d’enfants. Ces recensements sont ensuite affinés par la notification des arrivées ainsi que des sorties.
Rapport sur les listes nominatives et notices individuelles de 52 réfugiés ayant obtenu une autorisation provisoire de séjour et qui ont quitté le camp dans la journée du 12 février 1939. Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine. F/7/14731.
Les recensements initiaux du camp ont toutefois été établis à partir d’une estimation supérieure à la réalité. C’est ce que constatent les fonctionnaires de la Sûreté nationale en procédant à un comptage précis du nombre d’internés, îlot par îlot, à la fin du mois de mai 1939. Marc Lefort précise qu’à la centaine près, il reste encore 15.602 internés au 1er juin 1939 soit 14.780 militaires et 870 civils. En comptabilisant les malades et les blessés hospitalisés, le chiffre monte à 16.605 personnes sans prendre en compte les femmes et les enfants . A cette date, le camp d’Argelès-sur-Mer a enregistré 79.890 sorties. A la fin du mois de juin, lors de sa fermeture temporaire, le camp d’Argelès-sur-Mer a donc vu sortir, en seulement cinq mois, 96.495 réfugiés, un chiffre auquel il faut donc rajouter un nombre inconnu de femmes et d’enfants, d’évadés et de réfugiés non comptabilisés durant les premières semaines de fonctionnement du camp. On peut donc estimer à plus de 100.000 le nombre de réfugiés à avoir séjourné sur le sable d’Argelès-sur-Mer entre février et juin 1939. Certaines estimations de la Sûreté nationale et de l’armée pour 1939 font ainsi état du passage de 110.000 à 120.000 réfugiés sur la même période.
Les réfugiés du camp d’Argelès-sur-Mer prennent connaissance des avis les concernant, 15 février 1939.
Archives départementales des Pyrénées-Orientales.Fonds Chauvin, 27Fi79.
Sortir du camp
Il existe ainsi deux types de contrôles pour sortir du camp d’Argelès-sur-Mer. Le premier est numérique et ne concerne que les réfugiés rapatriés en Espagne, ceux envoyés par groupes dans d’autres camps ou dans des Compagnies de Travailleurs Etrangers. Ces derniers ne font l’objet d’une fouille systématique qu’ à leur sortie. A charge des fonctionnaires de la Sûreté Nationale de les identifier ultérieurement. Le second vise ceux qui, à titre individuel, ont été rapatriés, et ceux qui bénéficient d’un titre provisoire de séjour délivré par la préfecture ou qui sont transférés dans un autre camp par ordre de l’autorité militaire.
Synthèse des départs enregistrés par la la Sûreté nationale au camp d’Argelès-sur-Mer durant les mois de février, mars, avril et mai 1939.
Témoignages
Agusti Bartra
Un mois auparavant, la plage d’Argelès était déserte. Les mouettes volaient joyeusement dans son ciel et le sable, sans traces de pas, était comme une ceinture d’or entre l’eau bleue et la plaine verte. Mais maintenant s’y étendait une ville de cent mille habitants.