Antoine Cascarosa


Témoignages

 L'arrivée au camp 


Antonio Cascarosa est né en 1926 dans un village de l’Aragon fortement influencé par les anarchistes.  La  famille Cascarosa quitte l’Espagne lors de la Retirada. Antonio est envoyé avec sa mère dans le nord de la France. La famille parvient à se retrouver mais est arrêtée après la capitulation et dirigée vers le camp d’Argelès-sur-Mer. Les Cascarosa sont transférés en juin 1941 au camp de Rivesaltes. Au bout d’une nouvelle année d’internement, Antonio est envoyé dans une colonie d’enfants gérée par les Quakers. A la Libération, il part à Paris pour finir ses études et s’installe durablement en France.

L’arrivée au camp. Ce fut une rude épreuve, car cette fois-ci, toute la famille se trouvait privée de liberté, sans espoir d'aide venant de l’extérieur, et sans autre horizon que les barbelés. Cet « hôtel »,  fondé sur le sable, retrouvait une nouvelle jeunesse,  accueillant à nouveau les réfugiés  espagnols de février 1939 avec bien d’autres apatrides tels que les « brigades Internationales"  et les juifs.
Entrés ensemble, les membres de la famille furent séparés  à nouveau, les uns intégrant le camp des « femmes » et les autres le camp réservé aux « hommes . Toutefois, au début, nous pouvions nous voir, et même échanger de la nourriture à travers les murs de barbelés qui nous séparaient. Le temps des restrictions était arrivé.
Au début, pour palier à la nourriture infecte qui nous était servie, nous eûmes recours aux économies faites au cours des mois précédents. Cela ne dura qu’un temps, et il fallut se résigner,  comme tout le monde, à adopter le régime diététique du camp, composé de tomates, navets, topinambours et d’une faible ration de pain.
Des baraques en bois, recouvertes de toile bitumée furent le lieu de séjour réservé aux nouveaux arrivants, regroupés par îlots d’environ une cinquantaine de personnes, couchant à même le sable, dans des « couchettes » remplies de paille, auxquelles venait s’ajouter une couverture par personne. Comme des sardines en boîtes, les familles s’étalaient sur le sol, faisant de chaque lopin de sable, une propriété privée inviolable, sauf des rats. A cette situation calamiteuse, vinrent s’ajouter des pluies torrentielles qui nous obligèrent à abandonner les baraques sous peine d’être inondés. L’accroissement des effectifs fit, qu’au mois de décembre, la capacité du camp fut doublée, en créant une nouvelle zone réservée aux femmes séparée par un « oued » à l’origine des inondations d’octobre. 
A la séparation physique des familles s’ajoutait la privation de se voir et de communiquer de vive voix entre elles. Tout contribuait à réduire l’espoir d’une vie meilleure : la faim, les poux, les puces, les rats et pour finir le temps froid. Un temps froid fait de vent qui soulevait le sable et le faisait pénétrer à l’intérieur des baraques. Les moins résistants, minés par la faim et la misère, à court d’espoir, prenaient la route de retour vers l’Espagne, laissant au camp des hommes pour limiter le risque de retour. Décidée à résister à toutes les difficultés, la famille, impulsée par la mère, décide de réagir en utilisant les toutes dernières réserves, pour faire du commerce, et utiliser la plus-value pour survivre. Le projet consistait à confectionner et vendre des gâteaux à base de semoule de maïs, dans le camp des hommes, puis à acheter des cageots de harengs saurs, les passer au camp des femmes pour les vendre dans ces lieux. Du fait des faibles ressources de la clientèle, nos bénéfices se limitaient à la mise à disposition de chacun d’un petit gâteau et d’un hareng de manière à ne pas grever le capital. Il va sans dire que, vu la situation de précarité qui était la nôtre, sous tous les aspects, la tâche demandait beaucoup d’efforts et d’ingéniosité. Mais cela nous occupait et nous permettait de ne pas tomber dans le désespoir.

Récit d’Antoine Cascarosa, archives FFREEE

Camp des femmes et des enfants, Argelès-sur-Mer 1940 ou 1941

Camp des femmes et des enfants en 1941. Fonds Pierre Fuentes.