Le camp des nomades
La re-internationalisation du camp d'Argelès-sur-Mer s'accompagne de l'arrivée de nouvelles catégories d'exclus. Parmi ces dernières se trouvent des nomades que le gouvernement de Vichy astreint à résidence dès octobre 1940 dans les camps d'étrangers du sud de la France.
A partir du mois d’octobre 1940, le camp d’Argelès-sur-Mer dispose d’un camp dédié aux nomades. Depuis le 6 avril 1940, un décret interdit la circulation des nomades sur tout le territoire métropolitain « pour la durée de la guerre » et ordonne leur assignation à résidence. Le piège se referme avec la capitulation. Le 4 octobre 1940, une ordonnance allemande précise l'internement administratif familial des nomades dans des camps de la zone occupée. Vichy place alors dans les camps de la zone libre, à commencer par ceux d'Agde et d'Argelès-sur-Mer, les nomades expulsés de la zone interdite en Alsace-Lorraine.
Début novembre 1940, un rapport du service des camps de la Sûreté Nationale précise que 376 nomades sous l'appellation « gitans alsaciens lorrains » se trouvent dans le camp n°2 d'Argelès-sur-Mer. Soit 123 hommes, 123 femmes et 130 enfants. Ils seront près de 500 au début du mois de janvier 1941 dont près de la moitié sont des d'enfants. Ce camp est dit des « nomades » ou des « gitanes » selon les rapports de l'administration du camp. Il regroupe à la fois des nomades expulsés d'Alsace-Lorraine et des gitans venus d'Espagne qui vivent en famille et à distance du camp des femmes et des enfants espagnols où se trouvent la plupart des infrastructures d'aides aux réfugiés. La construction d'une nouvelle baraque de la « Goutte de lait » est donc nécessaire au début de l'année 1941 afin d'assurer une distribution équitable pour tous les enfants dont près de 300 bénéficient des œuvres de secours des Quakers et du Secours Suisse dans le camp des nomades.
Les conditions de vie dans le camp n° 2 sont désastreuses. En décembre 1940, le maréchal des logis chargé de la surveillance du « camp des alsaciens lorrains », écrit au président de la Croix Rouge Internationale pour solliciter une aide d’urgence après que le camp des nomades a été ravagé par l’Aiguat d’octobre 1940 et que les 335 nomades qui s’y trouvaient ont perdu leurs effets personnels dans l’inondation. Un mois plus tôt, le Dr Cramer, de la Croix Rouge avait alerté dans un rapport sur les cas de fièvre typhoïde, de rougeole et de diphtérie qui s'étaient produits parmi les malades alsaciens lorrains. En effet, entre le 20 octobre et le 10 novembre 1940, huit enfants de familles nomades décèdent à l'hôpital du camp. Le plus jeune, Charles, d'une gastro-entérite à l'âge de 8 mois et la plus âgée d'une pneumonie à tout juste huit ans.
Le nombre de décès touchant le camp des nomades est impressionnant au regard du nombre d’internés. Sur les 524 nomades, répartis en 75 familles, qui ont pu être identifiés par le Mémorial des Nomades de France , on dénombre 23 décès enregistrés à l’hôpital du camp entre octobre 1940 et juillet 1941 dont une majorité d'enfants. Durant le printemps et l'été 1941, le camp n° 2 se vide progressivement. Une partie des nomades français et étrangers sont transférés dans les camps voisins de Rivesaltes et du Barcarès. Le 25 novembre 1942, les 299 derniers nomades sont transférés du camp de RIvesaltes vers le camp de Saliers dans les Bouches-du-Rhône.
Population nomade au camp d’Argelès-sur-Mer, novembre 1940. Extrait du rapport du Maréchal des logis, chef peloton de la Garde républicaine mobile, chargé du camp no11 d’Argelè-sur-Mer. Archives du Comité international de la Croix-Rouge, Genève (Suisse) ACICR, O CMS D-117.
Les nomades en France
Les populations qualifiées de « nomades » par les autorités françaises le sont en vertu de la loi du 16 juillet 1912 qui englobe sous cette catégorie administrative « tous individus circulant en France sans domicile ni résidence fixe» quelle que soit leur nationalité. Les nomades doivent, depuis cette loi, être muni d'un carnet anthropométrique d'identité et font l'objet d'une surveillance particulièrement resserrée de la part des autorités. Les Voyageurs, comme ils se nomment eux-même, comprennent des familles issues des ethnies romani (principalement originaires des pays de l'Est), sinté (sinté manouches et sinté piémontais), kalé (les gitanes) qui forment le groupe des romanichels (terme issu de romani chavé, le peuple rom, littéralement « des roms les enfants »), auquel il faut adjoindre les jenish (originaires du bassin allémanique), et des gadjé (sédentaires non roms, souvent arrivés sur le voyage par déclassement économique ou rupture sociale). Leur présence est attestée en France par des documents communaux depuis 1419. A la veille de la guerre de 1939 on estime leur nombre à 40 000. Plus de 7 300 seront internés, dont plusieurs centaines décédés de mort lente (principalement tuberculose et cachexie), ou déportés, tués à la tâche dans les kommandos set assassinés à Auschwitz le 2 août 1944, date retenue par le Conseil de l'Europe pour commémorer le Génocide européen des Roms et Voyageurs reconnu par un vote du parlement européen en 2011. Les victimes françaises attendent toujours un geste de la part de la République.