Josep Subirats

Témoignages


Campo 2 bis, barraca 54CAMPO 2 BIS BARRACA 54

Josep Subirats (1914-1997) fut l’un de ces jeunes affichistes des ateliers barcelonais du Sindicat de Dibuixants Professionals (SDP). Mobilisé en septembre 1937 dans la 27° Division, Josep Subirats passe en France lors de la Retirada via Prats de Molló et sera interné au camp du Barcarès où il reste jusqu’au mois d’octobre 1939, avant d’être envoyé sur le camp d’Argelès-sur-Mer, puis sur le camp du champ de Mars à Perpignan. Josep Subirats retourne en Catalogne en mars 1940. Il sera interné au camp de concentration de Reus, puis envoyé dans des bataillons de travail disciplinaire jusqu’en avril 1941, avant de retrouver ses activités de graphiste. Josep Subirats tiendra différents cahiers de croquis pour témoigner de ces années de guerre et d’exil. Nous publions ici l’un de ses dessins, accompagné d’un courrier adressé depuis le camp d’Argelès-sur-Mer à Teresa Martoli, sa future épouse restée en Catalogne, qu’il retrouvera en 1942.

Très chère Teresa:

Je ne sais pas si tu as déjà reçu la carte que je t’ai envoyée avant-hier pour t’informer de mon changement de camp.

J'attends de voir si je reçois la tienne car on m’a promis de me la faire parvenir ici.Je t’écris, Teresa, dans des conditions dont tu n’as même pas connaissance même par lettre. Lorsque nous avons pu correspondre, ça faisait quelques jours que j’avais quitté la baraque du camp. Et à l’hôpital c’était différent surtout les derniers jours.
Là bas j’étais vraiment  moi-même, et au début sans doute sous l'influence de mon séjour au camp, j'ai écrit des choses très amères. Maintenant, je suis redevenu moi-même mais métamorphosé. Les gens sont dans le camp depuis trop longtemps , le moral est au plus bas et la saleté pire encore.

En plus  les conditions dans ce camp ne sont pas les mêmes que dans l’autre. Les baraques mal construites et mal alignées lui donnent un aspect de faubourg peut-être plus pittoresque. J’ai cessé de marcher sur la terre ferme. Ici tout est sable et sable et vent, vent glacial.
Dehors on se gèle à l’intérieur on se gèle l’âme.
C’est le drame ! Je serais presque  heureux si je pouvais rester toute la journée allongé sur le sable à regarder la mer et la montagne.
Le matin avant le lever du soleil, je fuis les gens et, au risque de me geler, je vais à la plage. Quel spectacle magnifique ! Vraiment, tous les défauts énumérés sont compensés par ces levers de soleil lorsque la plage est déserte. Le paysage environnant est beaucoup plus beau ici puisque nous sommes presque au pied des Pyrénées au commencement de cette ligne que l’on voit sur la carte.

Mais ici il y a toujours du vent et il faut se rabattre dans ce sombre taudis.

Je suis avec des inconnus.
Je te dépeins l'environnement qui m'entoure afin que tu puisses comprendre le pessimisme qui sans aucun doute se reflète dans mes lettres. Je n'ai aucun endroit pour dessiner ni écrire. Tu sais bien que pour t’écrire, j'ai besoin de voir le ciel.
Cependant je ne suis pas pessimiste. Tant et tant de fois, tant de situations similaires m'ont endurci et j'ai réagi, ainsi que tous mes efforts pour réagir, car c'est la seule chose que je puisse faire. Je ne veux pas me laisser couler. Sans flatterie, quand l’atmosphère me hante, je pense à toi et ta mémoire me donne la force de continuer dans cette mer de misère. Ma seule aspiration est qu'un jour plus ou moins lointain, je puisse entendre ton rire et ressentir un peu d'amour. Je pense qu'avec cela je me sentirai satisfait. Ce sera un bonheur si grand après ce long pèlerinage entre des âmes étranges et tristes! Nul doute que j'apprécierai plus, beaucoup plus, la liberté et la beauté
Je ne sais pas, je ne sais pas ce que je vais faire à partir de maintenant.

Excuse-moi ! Je n'ai pas beaucoup de repères ici. Je me sens un peu le jouet des circonstances. Ici, à chaque instant on peut changer d’idée. Seul  l'instinct (les sentiments) envers toi me guide un peu. Si ce n'est ton souvenir, il est probable que j'aurais fait une de ces bêtises irréparables, mais plus maintenant non, ne crains rien, avant tout il y a toi et cela me fait garder ma sérénité (rester tranquille) (rester en paix). Et ce, malgré ce que j'ai dit précédemment et dont j’attends  la réponse, je ferai une requête pour aller avec ton oncle mais je suis convaincu du contraire. J’ai retourné la question dans tous les sens et chaque fois tout s’embrouille un peu plus dans ma tête.

Pour l’instant, mais le plus probable est que tous nous devrons partir vers différents points de France dans des compagnies de travail dont certaines fonctionnent déjà et à ce qu’il paraît elles n’ont pas l’air mal du tout, j’imagine que même à bâtons rompus le travail ne tue pas et c’est payé un demi-franc par jour. Ce n’est pas en qualité de soldat, par conséquent le fait d’y participer n’empêche pas les déterminations. Beaucoup sont volontaires et c’est préférable que de rester sur le sable à ne rien faire.
Voilà si il n’y a rien d’autre, il est probable que volontaire ou forcé  je ne tarderai pas à y aller. Ca me dérange de mener une vie désœuvrée.
A part tout cela je n’oublie pas les indications de mon frère que je devrai sans doute suivre.
Un jour ou l’autre.
En attendant j’attends d’avoir ton avis sur la question. A partir de maintenant je t’écrirai plus souvent car c’est en ce moment que j’ai le plus besoin de tes paroles que tu sauras intensifier je n’en doute pas. Tu peux m’écrire à cette adresse, je suis sûr qu’ils me feront suivre ton courrier  si je pars.
Je joins quelques lettres que tu transmettras je te prie à mon frère. Désormais, mets l’adresse telle quelle.
Bien à toi.   
Jose 
ARGELÉS SUR MER 26-X-39
R. JOSE SUBIRATS
7ª AGRUPACIÓN – CAMPO 2 BIS BARRACA 54
ARGELÉS SUR MER

Archives famille Subirats, Barcelone. Transmis avec l’aimable collaboration d’Eric Forcada. Traduit du castillan par Helvia Dupont.


Dessin réalisé au camp d’Argelès-sur-Mer par Josep Subirats en 1939


Dessins réalisés au camp d’Argelès-sur-Mer par Josep Subirats en 1939. Archives famille Subirats, Barcelone.